EMEUTE NANTES #6 (Avril 2016)

REPORTAGE

NANTES / 05 AVRIL 2016

Emeutes à Nantes le 05 Avril 2016 par Evan FORGET - www.evan-fo

Un carnage.

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Souvent, on me reproche d’employer le terme d’émeute dans mes publications, probablement parce que les gens n’aiment pas être assimilés à la violence du terme. Toutefois, c’est bien de ça qu’il s’agit, encore plus quand on parle de la journée du 5 Avril 2016 sur Nantes.

Ce jour là, le rassemblement était prévu pour 15H Place du Bouffay. Arrivé là-bas avec mes copilotes de Studio Raw, Karl et Jérémie, nous avons tout d’abord été surpris par la moyenne d’âge. Facilement… 15 ans, et avec beaucoup de (jeunes) filles. Sur le coup, nous nous sommes mêmes demandés quelques instants si nous étions au bon endroit et pas sur la sortie de classe d’un collège local.

Très vite, l’organisation a été mise en place et les leader de la marche se sont fait entendre. Un important mouvement de foule a donné le signal de départ et l’ensemble a commencé à se déplacer.

Avec une marche rythmée par des individus au mégaphone, celle-ci a durée jusque vers 16h20. Pour le coup, nous nous sommes dis « Tiens, une manifestation qui sera calme« . Le groupe passait en effet de rue en rue sans problèmes particuliers (quelques insultes en apercevant les forces de l’ordre très discrètes pour le coup, celles-ci répondant par une ou deux lacrymogènes de temps en temps, Rue de Strasbourg et Place Graslin) pour finalement se réunir cours des 50 otages. C’est ici que tout à commencé.

Mais avant d’aller plus loin, il faut qu’on m’explique pourquoi est-ce que les filles présentes sortaient toutes un smartphone pour faire des selfies de groupe avec la bouche d’une forme étrange devant : la banderole, la foule, les arbres, des fumées… devant partout en fait. Un aliment ingéré par les parents dans les années 2000 aurait-il causé un trouble neurologique ou une perturbation de l’instant de survie ? Parce que ce syndrome du selfie, je l’ai constaté toute la journée, même au plus fort des débordements.

Arrivé donc cours des 50 otages, j’ai entendu au loin un bruit de métal. Quelque chose qui était frappé, scié même. Sans comprendre, je m’y suis dirigé. Ce n’était pas très dur à trouver, le bruit était fort, et la foule regroupée au même endroit. En arrivant sur les lieux, j’ai croisé un camarade photographe qui m’a dit “Ne va pas là-bas, j’ai essayé je me suis fait jeter je n’ai pas pu prendre de photos”. Alors moi, qu’ai-je fait, eh bien j’y suis allé.

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Le bâtiment forcé.

Le bâtiment forcé.

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Le spectacle était aussi gratuit que violent. Des jeunes sciaient le rideau de fer d’un bâtiment pour frapper la vitrine à coup de pieds et de mobilier urbain. La caméra de sécurité présente au dessus a été entièrement détruite par quelqu’un ayant grimpé le mur pour pour s’y attaquer intentionnellement.

Il a bien fallu 10 minutes aux forces de police pour arriver à l’autre bout du cours des 50 otages et tirer des lacrymogènes pour disperser la foule. Cette première dispersion m’a littéralement fait tombé sur le cul. C’était du grand n’importe quoi. Des cris d’ados n’ayant pas encore mués un peu partout se mélangeaient avec les cris de gamines insouciantes qui rigolaient du moment présent.

Je sais que je suis très dur et que mes mots semblent agressifs. Mais on parle quand même d’une manifestation qui part en importants débordements, entouré de gens qui ne demandent qu’à frapper du CRS ! Ce n’est pas une promenade de santé, l’endroit est dangereux et ces ados n’en ont pas conscience. Ils n’ont aucune protection, ni masque ni lunettes, et je ne donnerais pas cher d’eux à la première altercation avec les forces de l’ordre.

A partir de cette première dispersion, le cortège c’est réuni pour remonter le long de rues suffisamment larges pour accueillir confortablement la foule. Un grand détour a été fait en passant par Place Royale avant de retourner au cours des 50 otages, détruisants (encore) les abris bus et arrêt de tram de Commerce.

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Emeutes à Nantes le 05 Avril 2016 par Evan FORGET - www.evan-fo

Des jeunes retirant les pavés des lignes de tram.

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A ce moment là, et contre toute attente, le groupe en a profité pour bifurquer vers … Gare Sud. Oui, je dis bien contre toute attente, car c’est loin d’être le premier événement de ce genre que je couvre et JAMAIS je ne les aient vu allez aussi loin. De là, ils en ont profité pour jeter de nombreux projectiles sur les voix de passage pour les trains, saccagés les vitres de l’un deux qui s’était arrêté avant d’entré en gare, et plusieurs dizaines d’individus sont passés par dessus les barrières pour “faire le plein” de projectiles et de pierres.
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Un jeune passant par dessus la barrière de sécurité.

Un jeune passant par dessus la barrière de sécurité.

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Les forces de l’ordre présentes au niveau de gare sud sont intervenus avant que l’important groupe de casseurs soit arrivés à sa hauteur, et ceux-ci sont retournés cours des 50 otages à 17H30. C’est là que le carnage a commencé.

De très nombreux bâtiments ont été saccagés, essentiellement des banques, des assurances et des terrasses de restaurants. A ce moment là, le nombre de casseurs devait se porter à 50%. Ce qui est énorme, car d’habitude nous sommes plus proches des 5%. Mais pas ce 05 Avril. Non, ce 05 Avril, c’était un débordement prévu, c’était la volonté de détruire et de saccager, c’était la jeunesse qui voulait “se faire entendre” en montrant qu’elle “n’est pas contente”.

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Des jeunes saccagent un bâtiment.

Des jeunes saccagent un bâtiment.

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Ce qui m’a le plus marqué, c’est de les voir détruire non seulement les vitrines de plusieurs bâtiments, mais surtout de rentrer à l’intérieur pour voler le matériel. Soit ils mettaient tout dans des sacs, soit ils détruisaient sur le sol ce qu’ils ne pouvaient pas garder, essentiellement des écrans de PC (ou des ordinateurs) des claviers, des souris…
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Ça, en dehors des quelques témoins photographes que nous étions, personnes n’en aurait jamais parlé. L’endroit était bien trop dangereux pour les caméras traditionnelles, et surtout, ce n’est pas que ce que la “Presse Française” souhaite montré.

Je dois avouer d’ailleurs qu’avec mes copilotes, nous n’étions pas fier. Mais pas fier DU TOUT. A n’importe quel moment un gars pouvait se retourner, un gars bien chaud, et prendre peur en voyant notre appareil, pensant que nous prenions en photo son visage pour le dénoncer aux forces de l’ordre. Mais non, sincèrement, on s’en moque de photographier des visages, nous ne sommes pas là pour ça.

Il faut bien comprendre une chose, c’est la situation du photographe sur le moment. Soit on collabore, c’est à dire on floute les visages et dans ce cas nous sommes complices des coupables et sujets a des problèmes en justice alors qu’au final, nous n’avions rien fait de mal, soit on fait ce pour quoi nous sommes là en prenant nos photos. Il faut bien garder à l’esprit qu’ils (la police, ndlr) n’ont pas besoin des photographes pour ça. Entre la BAC qui filme, les murs de CRS avec les caméras à fort zoom, les caméras de surveillance, les hélicoptères et les centaines de personnes avec des smartphones qui balancent tout ça sur YouTube, Facebook, Instagram à coup de hashtags, croyez bien qu’ils vous ont déjà à l’oeil depuis le début des débordements. De plus, si vous n’avez rien à vous reprocher… Pourquoi se plaindre.

 

Un écran d'ordinateur détruit.

Un individu jette un écran d’ordinateur à terre.

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Les choses sont ensuite allées de pire en pire.

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Après le saccage causé cours des 50 otages, un groupe de plusieurs centaines de casseurs a remonté la route jusqu’au pied de la tour de Bretagne.

A ce moment là, naïvement j’ai cru qu’ils étaient calmés. Il est vrai que nous n’entendions plus personnes hurlé depuis près de 20 minutes, et je me souvient m’être dis « c’est bon, le paroxysme est passé, les mecs se sont calmés et vont se disperser« . Ahahahah. Quel naïf que je fût.

Traversant la place sur laquelle ils étaient, les casseurs sont passés devant un magasin Go Sport. En passant devant, là encore je me souviens m’être dit « C’est étrange, chauds comme ils sont, ils n’ont pas encore touché au magasin entièrement vitré. Pourtant un casseur est attiré par une vitrine comme un moustique par la lumière un soir d’été« .

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Emeutes à Nantes le 05 Avril 2016 par Evan FORGET - www.evan-forget.fr

Le magasin Go Sport

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Finalement, quelques pierres ont été lancées jusqu’à la pierre de trop, celle qui déclencha tout. Un projectile plus gros que les autres, lancé un peu plus fort sur une parois peut-être plus fragile a causé une destruction immédiate et un engouement de la jeunesse qui c’est alors précipité pour détruire le plus de vitres possible, allant même jusqu’à jeter un cocktail molotov sur le magasin.

Plusieurs dizaines d’individus sont alors entrés dans la boutique pour voler de nombreux accessoires. Je me souviens avoir vu quelqu’un partir avec un vélo, sous le regard désemparé des employés impuissants. De nombreuses paires de chaussures volaient au dessus de ma tête, alternant avec les pierres.

Tout le monde n’est toutefois pas non plus à mettre dans le même panier. Dans le lot, il y avait des individus qui cherchaient justement à éviter les vols et à faire obstacles, empêchant les pillages en s’opposant à visage découvert en cherchant à faire entendre raison. Ceux-ci se faisaient rapidement prendre à partis, et malgré eux tout continuait.

Il y avait même des adolescentes qui venaient se prendre en selfis devant les vitrines brisées et les flammes du cocktail molotov. Certaines prenaient même toute la scène en vidéo.

Au final, j’ai été très surpris que ça aille jusque là. Habituellement les casseurs « cassent » mais ce ne sont pas des pillards. D’où ma surprise du moment.

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Emeutes à Nantes le 05 Avril 2016 par Evan FORGET - www.evan-fo

Calme de la foule.

C’est là que pour nous, moi et l’un de mes copilotes, ça fût le moins drôle. Nous avons suivi un groupe de casseurs dans le centre des ruelles de Nantes dans lesquelles nous avons été pris en tenaille par les forces de l’ordre qui ont simultanément gazés les deux côtés de la rue. De là, toutes les personnes ont été contraintes à être mis à terre.

Nous autres photographes (les deux seuls présent à cet endroit là) n’avons pas non plus échappés à la règle de l’arrestation en bonne et due forme. Nos sacs photos ont été fouillés, contrôle de papier, confiscation de matériel de protection, fouille au corps, visage filmé par caméra, immobilisation de 20 minutes bref, la totale. Comme quoi, manifestant ou non, nous sommes tous logés à la même enseignes.

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La foule dos au mur prête à se rendre face aux forces de l’ordre, les lacrymogènes en arrière plan.

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Il aura finalement fallu que le soir arrive pour que l’ensemble des casseurs (à 5 ou 6 exceptions prêts) abandonnent les rues et laissent place à ceux qui manifestent « officiellement ».

Malgré tout ça n’a pas suffit. Place du Bouffay vers 21H15, lieu et heure où tout le monde festoyait en paix, une ligne de force mobile est arrivée et à entamé une « dératisation » des lieux en essayant d’évacuer la place. A mon sens, avec 3 lacrymogènes en 5 minutes il n’y aurait plus eu personnes, mais ils ont préférés avancer, et ce qui devait arriver arriva. Les quelques casseurs encore présents sont sortis de l’ombre et ont lancés une grande quantité de projectiles sur les forces de l’ordre. Les manifestants pacifiques présents ont alors formés une chaine humaine devant les forces de l’ordre pour faire stopper le lancement de projectiles.

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Emeutes à Nantes le 05 Avril 2016 par Evan FORGET - www.evan-fo

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S’en est ensuite suivi de lourdes tentions dans les deux rangs alors face à face. Un homme dont l’histoire en 3 photos est présentes en fin de la galerie de bas de page a d’ailleurs eu sa bière explosé. Je sais, c’est méchant, mais la scène m’a fait sourire. Légèrement alcoolisé, il avait une attitude assez menaçante mais pas agressive face au CRS devant lui. Du coup, ce dernier en ayant eu marre, a donné un coup de matraque dans sa bière après plusieurs sommations. Celle-ci a éclaté sur le coup. La situation prêtait à sourire, car le porteur de la boisson ne s’y attendait pas, et fait un genre de :O comme toutes les personnes autour. Ce fût le seul coup de matraque donné qu’il m’est été de voir ce jour là.

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Peu avant l'explosion de la bouteille.

Peu avant l’explosion de la bouteille.

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Finalement, en dehors de très nombreuses dégradations causées par de jeunes adolescents dans la grande majorité, il n’y a eu aucun corps à corps violent avec la police qui est restée presque invisible toute la journée. Trop peut-être, aux dires des commerçants excédés qui se sont sentis délaissés. Un jeune a semble-t’il reçu un tir de flash au visage, j’ai aperçu une photo circulé mais je n’ai rien vu moi-même en dehors de quelques morceaux de projectiles à terre place Graslin.

Enfin, je conclurais cette page par un petit paradoxe. Les gens veulent que nous montrions des photos de paix, de sourires, ou encore de joie lors de rassemblements comme celui du 05 Avril sur Nantes.

Mais quand tout va bien, ils nous empêchent de prendre des photos, même de choses banales (jongleurs, danseurs…) en disant « pas de photos ! » / « pas de visage » / « droit à l’image ! ». Le paradoxe étant qu’après, ces même personnes nous reprochent de NE PAS publier de photos de gens heureux./Je veux bien comprendre certaines craintes, mais quelles sont les risques à publier la photo de quelqu’un qui jongle ou qui danse ? On ne parle pas là de quelqu’un commettant un acte illégal.

Maintenant, comment faire. Doit-on « voler » nos photos en les prenant sans autorisation et en prenant le risque de jouer le tout pour le tout lors de la phase de publication ? Doit-on taire les événements et écouter ensuite les gens se plaindre sans rien pouvoir dire du fait qu’aucun de leurs combats ne soit médiatisés et que l’état cherche « à taire leurs mouvements » ?

Je vous laisse méditer là dessus.

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Photo de moi-même prise par Jeremie Verchere en fin de soirée sur la zone de Commerce.

Photo de moi-même prise par Jeremie Verchere en fin de soirée sur la zone de Commerce.

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Ci-dessous, je vous invite à découvrir la galerie contenant une centaine d’images de la journée. Pour information, les photos ont été prises dans leur intégralité avec un Fujifilm X-Pro 2 et un 23mm f/1.4. Portant également une Apple Watch, celle-ci m’a indiqué qu’avec mes camarades, nous avons parcourus la distance de.. 21,87 kilomètres entre 14h30 et 22h10. Je comprends mieux les courbatures du lendemain !

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