Chers amis,

 

Je ne sais pas vraiment par où commencer ce texte ni si celui-ci sera vraiment pertinent. Les plus anciens qui suivent mon travail (certains sont tout de même là depuis 3, 4 voir même 6 ou 7 ans !) auront peut-être remarqué une baisse significative du nombre de projets ou de publications de photos ou même encore d’article sur le site de Studio Raw ainsi que sur ma page Facebook. J’organise également moins de sorties, il y a moins de vidéos tuto publiées sur YouTube et j’en passe.

 

Tout ceci s’explique par une chose assez simple mais que j’ai eu du mal à reconnaître. Une certaine… lassitude s’est emparée de moi. J’aime toujours autant la photo, je ne veux pas fermer mes sites ou ma page Facebook, je veux toujours continuer de partager des choses. Toutefois, ma vie d’aujourd’hui est différente de celle qu’elle était avant, et la photographie a une place et un rôle différent dans mon coeur à présent. Avec les années j’ai grandement progressé et évolué. J’ai aujourd’hui atteint un niveau qui reste certes encore très largement perfectible, mais qui n’a jamais été aussi haut. J’ai un très bon feeling avec mon boîtier actuel et j’ai un plaisir réel à prendre des photos au quotidien avec mais… peut-être que je suis comme « blasé » aujourd’hui. Le burn-out de la lassitude ? Je ne sais pas si ça existe. Mais c’est comme ça que je pourrais le décrire.

 

Evan

 

Les raisons

Ce qui me fait vivre aujourd’hui ce n’est pas/plus la photographie, c’est le travail annexe que j’ai à côté. Un boulot dans l’informatique, le même job depuis 2 ans et 8 mois à présent. Ce n’est pas un temps plein, comme ça j’ai du temps pour la photo à côté. Je me suis énormément impliqué dedans et j’ai très nettement progressé et gravis les échelons de ma carrière professionnelle au point d’atteindre un niveau que je n’aurais jamais cru atteindre quand j’ai commencé. Mais c’est aussi très chronophage car j’ai beaucoup à apprendre, et je suis un garçon curieux. J’apprends constamment, même quand je ne suis pas à mon travail je cherche à savoir/comprendre/apprendre de nouvelles choses. Je n’y peux rien, c’est ma nature, c’est comme ça.

 

J’ai aussi de profonds désaccords idéologique et professionnels envers certains médias et certains photographes mais qui malheureusement doivent être mis sous silence. C’est un milieu relativement fermé qui concerne des gens passionnés et comme toutes personnes passionnées, moi inclus, nous avons parfois tendance à régir brutalement/brusquement quand on entends certaines choses sans prendre forcément toujours le temps de réfléchir à ce qui viens d’être dit. Les gens entendent, mais n’écoutent pas souvent. Ça reviendrait à une certaine forme de suicide professionnel que d’exprimer mon opinion sur ces sujets tabous/sensibles, ce qui il convient de le souligner est paradoxal dans un milieu où la nature même du travail est de communiquer, d’exprimer librement et de partager des choses. Du coup, afin de ne pas entrer dans une certaines formes de conflit, j’ai du me résigner à m’éloigner de certaines choses/personnes/causes. Raisons pour lesquelles je couvre aussi beaucoup moins de manifestations ou d’événements sensibles de ce genre qu’à une époque. Je ne m’y retrouve plus.

 

Il y a trop de désinformations, de détournements de faits, de mensonges et ce dès deux côtés de chaque événements. De ce fait, quand vous arrivez là, vous, avec votre vérité, avec le récit de ce que vous avez vécu et des dizaines d’images pour en témoigner, on ne vous autorise pas à vous exprimer et vous vous retrouvez face à des murs incapables d’écouter ce que vous avez à dire ou d’admettre autre chose que ce qu’ils pensent. Votre personne et votre travail s’en retrouvent moqué, détourné et discrédité sans aucune raison.

 

A côté de ça, la rédaction de mon livre (qui est un essai et non un roman) sur lequel je travail depuis très longtemps progresse en dents de scie, car il est difficile de d’avancer en même temps sur tous les fronts. Il est complexe d’être au top dans le job qui vous fait vivre et qui prends la majeure partie de votre temps tout en ayant l’esprit suffisamment dégagé pour la rédaction d’un ouvrage tout en organisant et publiant de nouvelles séries de photos de manière régulières, encore plus si derrière vous devez rajouter l’écriture d’articles, l’organisation de sorties, la publication de vidéos… De ce fait, je partage à présent mon temps entre la photo, mon livre et la guitare, le tout entremêlé à ma vie privé, au sport, et à mes autres activités. Je dois également faire avec mes soucis de santé qui deviennent de plus en plus prenants bien malgré moi.

 

Je pourrais bien entendu changer tout ça très facilement. Je pourrais quitter mon job et m’installer avec une petite boutique de photo en ville et m’éclater à fond dans le monde de l’image. J’en ai les capacités, les idées, et la créativité pour le faire, mais… Je ne le souhaite pas, car ça demandera une énergie et un temps considérable qui m’obligera à de nombreux sacrifices et en cas de problèmes j’aurais tout perdu. D’autant que le métier est extrêmement instable en ce moment et que je n’ai pas encore les ressources financières suffisantes pour me retourner en cas de besoin. Le risque est grand, très grand. D’autant que je suis à présent propriétaire du logement où j’habite alors que je n’ai que 25 ans. C’est là aussi la consécration d’un beau projet et une étape importante dans ma vie, mais qui du coup m’impose de nouvelles règles et de nouvelles contraintes.

 

Quelque part, ma vie comme elle est me plait, car garder la photo sur le second plan me permet de la garder comme la passion qu’elle est, et je ne me sent pas comme une vache à lait que l’on va traire à longueur de temps pour en extraire le maximum à chaque instant. Je travail avec qui je veux, quand je le veux, sur les contrats que je veux, et bien que parfois, oui, j’aimerais en faire d’avantage, je suis très souvent satisfait du chemin que j’ai emprunté jusqu’alors, malgré une certaine nostalgie de l’époque où Studio Raw a commencé en 2015. Je vois la photographie comme l’art qu’elle est, et j’ai du mal à me forcer à faire quelque chose dont je n’ai pas envie dans ce domaine-la.

 

Lors de la répétition du groupe de musique DogFight

 

Concernant Studio Raw, le groupe continue de vivre et même de très bien vivre sur Rennes (bravo les gars !) mais je me suis retrouvé rapidement tout seul pour gérer le groupe de Nantes, et quand on est seul, trouver une motivation est parfois délicat. C’est extrêmement chronophage comme concept, et l’organisation de ces sorties ne m’apporte pas autant qu’aux participants. C’est quelque chose de gratuit et de totalement altruiste car je ne gagne pas en connaissance à ces sorties bien au contraire, c’est moi qui les dispenses. Du coup c’est de plus en plus difficile à organiser.

 


Le matériel

J’ai aussi atteint… comment dire… un certains point avec le matériel que j’utilise. Je ne parle pas de mon Leica, je parle de l’optique. Depuis 2012 où j’ai quitté Nikon, je ne travail qu’avec (ou presque) des focales fixes de 28 ou 35mm, le x100s fût mon outil de baptême en quelque sorte. Mais… Je commence à avoir fait le tour de ça. Le dernier challenge EducEco que j’ai couvert à Valenciennes en Mai dernier et le Hellfest qui vient de s’achever ont été les événements qui m’ont affirmé ce que je pensais déjà car une année de plus je photographiais les mêmes choses, la même ambiance, et le même site avec une focale similaire. La réactivité de l’A-F m’a permis de saisir des instants différents, la qualité du capteur m’a permis d’aller plus loin qu’avant (contre-jour, monté en ISO, fidélité des couleurs d’un couché de soleil ou d’un néon, le bokeh grâce au passage au plein format…) mais l’optique me bloque considérablement sur tout le reste. Impossible de prendre des photos des véhicules en courses comme je le souhaiterais sur EducEco, et c’est la même chose pour les photos de scènes sur le Hellfest car malgré mon accréditation Press, celles-ci sont bien trop haute, même les plus petites comme le MetalCorner ! Alors les MainStages n’en parlons pas…

 

 

J’ai parfois envie d’aller plus loin, de voir et d’expérimenter de nouveaux angles car j’ai fait le tour du 28mm. Je me sent aujourd’hui bloqué et bridé dans ce que j’ai envie de faire. Les génies me diront « mais achète un autre objectif gros malin ! » et ça ceux là je le répondrais que l’objectif n’est pas interchangeable sur mon Leica Q, tout comme sur mon feu-x100s.

 

Je ne vendrais pas mon Leica, ce n’est pas ce que je suis en train de dire. Je garderais cet appareil comme le compagnon de ma vie quotidienne, mais avoir à côté un reflex polyvalent et performant équipé d’optiques me permettant d’aller chercher des choses que je ne pourrais pas trouver avec ma focale fixe me titille depuis longtemps. C’est d’ailleurs pour ça que je retarde autant le début de ma série de portraits en lumière naturel teasée il y a déjà quelques mois… J’ai fait des essais, la qualité d’image est splendide, mais pour des gros plans… bwaaaark non… 28mm ça déforme bien trop les visages. Si l’angle est large et que mon sujet est éloigné de 2-3 mètres ça va, mais dès que je veux faire quelques gros plans c’est terminé… J’adorerais avoir un 50 ou même un 85mm f/1.8 avec un reflex plein format pour essayer de nouvelles choses, et pourquoi pas garder au fond d’un sac un 70-200 f/2.8 pour les photos de scènes !

 

Voilà où j’en suis aujourd’hui. Je ne trouve pas mon bonheur dans les reflex d’aujourd’hui. J’ai déjà beaucoup donné avec les Fuji, et bien que le X-T2 (surtout avec son grip) est excellent (entre autres modèles), j’aimerais retourner à quelque chose de plus classique. Un bon gros reflex tropicalisé avec plus de 1000 vues d’autonomie par batterie comme j’avais à l’époque où j’étais chez Nikon. Il n’y a guère que le Nikon DF (en version noir) qui me fait de l’oeil. En effet, si je passe à un reflex, ça sera un DF et pas autre chose… J’ai pris goût à la molette, et je ne pourrais pas revenir je pense sur un boitier moderne tout lisse plein d’arrondis sans aucun charme style Nikon D500 ou les Mark III/IV de Canon. Le feeling est super important pour moi et si le boîtier ne me fait pas visuellement envie alors ça ne passera pas.  C’est con, mais c’est comme ça. Sinon j’aurais pris un D4 d’occasion, ils sont moins cher en boutique d’occas que les Nikon DF neuf et offres bien plus de possibilités ! J’attendrais donc cet été pour aviser de ce que je fais… Ne rien faire et laisser mon travail s’appauvrir avec le temps ? Repartir finalement sur un Fuji style X-T2 et lui coller un 60mm f/2.4 (eq. 91mm ff) et un 50-140 f/2.8 (eq. 70-200 ff) ? Partir sur un Nikon DF ? Ou encore partir sur un appareil qui ne me fera pas envie ?

 

Certains diront que je me pose trop de questions. Mais il faut garder à l’esprit que le choix fait à ce moment là sera décisif car on ne change pas de marques comme de crèmeries, l’investissement est donc important et mérite réflexion. Fujifilm ? Nikon ? Canon ? Sony ? Olympus ? Ce ne sont pas les marques qui manquent.

 

Une photo prise après le travail un soir de Janvier dans les rues de Londres, le Leica en bandoulière et les mains gelées.

 

Je suis dans une période assez charnière de ma “carrière” de photographe. Je suis dans un moment où j’ai l’impression d’avoir fait le tour de ce que j’avais envie de faire, et que je n’ai ni le matériel adéquat en terme d’optiques, ni l’expérience pour aborder sereinement d’autres domaines de spécialisations comme le culinaire, le portrait, le mariage, le sport et j’en passe… Ce que j’adore c’est le reportage, mais on ne peut pas faire tout le temps que ça, à moins de s’y investir à temps plein et encore, car c’est bien l’un des rares domaines qui demande une implication totale de la part du photographe. Chose que je ne peux pas faire compte tenu des circonstances. Mais le portrait… À la limite ça me tenterait bien si j’arrivais à mettre la main sur un appareil à objectif interchangeable comme j’en parlais un peu avant. Je n’y connais rien du tout dans ce domaine, et je serais curieux de voir ce que je pourrais arriver à faire avec des gens qui pour la première fois « posent » devant moi, à l’inverse du reportage où vous n’avez aucune incidence et aucun moyen d’interférer sur ce qui se passe devant ou autour de vous.

 

J’attendrais encore un peu pour voir vers quoi je me dirige, vers quoi je vais évoluer. Tant en termes de matériel que de photographie. J’ai l’impression de revenir à mes débuts, car c’est à présent maintenant que je maitrise le sujet que je réalise l’immense vide inconnu qui se dresse devant moi, et en trouver la sortie ne sera pas une chose facile.

 

J’en suis donc venu à une conclusion assez simple… En attendant, pourquoi ne pas retourner à l’essentiel de ce que je considère comme “ma” photographie ? Pourquoi ne ferais-je pas le contraire de ce que je m’efforce de faire depuis quelques temps ? Je pourrais, et j’y songe de plus en plus, créer un album “lifestyle” dans lequel je publierais des photos de mon quotidien. Des photos sans aucune valeur journalistique ou sans valeur tout cours, des choses simples, basiques, sans chercher à avoir quelque chose en particulier, juste à montrer ma vision de ce que je vie… De cette façon je pourrais évoluer à mon rythme sans avoir à me dire “je devrais organiser telle ou telle chose”, “je devrais faire telle ou telle série”, tout en me permettant de travailler ma technique et d’affiner mon traitement et ma colorimétrie… J’y songe. Le ferais-je ? Je ne sais pas encore. Mais je pense que je pourrais me lancer, sans vraiment me soucier de savoir si derrière ça va plaire ou non. Juste pour m’aider à m’y retrouver, une sorte de cure, de traitement.

 

Autoportrait au Leica Q pour tester un éclairage avant une série.

 


Coup de gueule

Enfin, j’aimerais parler de… comment le formuler ? De cette manie que les gens, les organismes, les sociétés ou encore les associations ont de vous prendre bien trop souvent pour un con en vous exploitant gratuitement sans jamais vouloir débourser le moindre centime en inventant à chaque fois des prétextes pour ne pas payer ses photographes. « Pas de budget », « Nous payons avec des avantages X et Y », « Nous pouvons vous fournir des bons cadeaux » et j’en passe. Non, non non non et non. Je suis désolé de parler en ces termes, mais allez tous vous faire foutre avec votre gratuité et vos pseudo-cadeaux de merde. Un photographe doit travailler longtemps pour en arriver là où il en est au moment où on fait appel à lui, et l’ensemble du matériel coûte extrêmement cher. Entre le prix du ou des appareils, celui des objectifs, du matériel informatique, des licences logiciels, des frais de déplacements, des charges, de son salaire bref.

 

Non ce n’est pas un « honneur » de travailler pour vous. Et on s’en fous que d’autres peuvent prendre notre place, qu’ils le fassent, pendant ce temps là ça nous laisse le temps de trouver des gens qui sont capables de comprendre que la photographie est un vrai métier et qui nous paieront pour ce que nous vallons. Pour vous donner un exemple dans mon cas de figure :

 

 

Voilà déjà 13’900€ sans compter les accessoires, trépied, batteries supplémentaires, filtres (UV, densité neutre..), sacoche, extension de garantie et/ou assurance vol, charges, taxes, salaires, frais de déplacements… C’est plus clair ? Donc non, nous déplacer avec près de 14’000€ de matériel « pour l’honneur » ça ne nous fait pas plaisir.

 

Trop souvent j’ai entendu l’excuse du « mais votre nom apparaîtra à côté de la photo ». Oui, encore heureux la licence liée à mon travail vous y oblige. Pour rappel, celle-ci est publiée ici : Copyright. Récemment encore, plusieurs de mes amis m’ont envoyés une photo trouvées sur différents réseaux sociaux d’un média qui a fait sa promotion avec l’une de mes photos sans que j’en soit informé, sans que le nom ne soit mentionné, et avec le nom de l’auteur sur l’image retiré. Mes amis (merci à eux d’être aussi vigilants !) m’ont demandés si c’était bien ma photo et c’était le cas. Trop souvent ce genre de situation se présente et les organismes se pensent intouchables. A force, un ras le bol certains s’installe. Malheureusement je ne suis pas tout seul, et je connais beaucoup d’autres photographes qui subissent les mêmes préjudices que moi sur le sujet. Certains bien plus.

 


Le mot de la fin

Quoi qu’il en soit, qu’importe le ou les choix que je ferrais, je tenais à tous vous remercier d’être là, mon site continue d’être visité très régulièrement, et vous êtes plus de 4000 sur Facebook. C’est énorme pour un mec qui finalement ne partage pas tant de choses que ça. Alors sincèrement, merci à tous, et j’espère que vous serez toujours là quels que soit les choix que je pourrais faire concernant la photographie. Vous m’avez fait vivre quelque chose de grand, et je n’aurais jamais pu imaginer en arriver là où j’en suis à présent.

 

 

Merci pour votre temps de lecture,

Evan FORGET