Du côté d’un photographe

Qu’est-ce que ressent un photographe pendant/après une manifestation ?

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Nantes / Novembre 2014.

Nantes / Novembre 2014.

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Trop souvent, nous avons tendance à oublier que derrière toutes ces photos que nous voyons sur Internet, il y a un être humain. Un individu qui a travaillé dur et longtemps pour acquérir des connaissances, de l’expérience, et de l’argent pour acheter du matériel photo et ainsi capturer le moment que vous avez sur voter écran.

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Ce même individu possède une conscience, un cœur, et une âme…  Des choses bien trop souvent oublié par les lecteurs.

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On a tendance aujourd’hui à avoir la critique facile. Depuis l’avènement d’Internet d’ailleurs. Je pense que même sur le premier forum il devait y avoir des personnes qui étaient insultantes et désagréables. Mais quelles en sont les conséquences sur un photographe ?

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Le plus dur psychologiquement, ce n’est donc pas d’être présent au cœur de chaque action, de risquer sa peau et son matériel. Mais bien « l’après ».

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Comment ne pas être sûr que nous ne vexons pas quelqu’un même sans raison particulière et que ce quelqu’un ne nous attend pas au coin d’une rue, avec ses potes à la prochaine manifestation ou même n’importe où ? Comment ne pas être sûr que lorsque vous serez avec votre femme et vos enfants à vous promener dans une galerie commerciale, un mec ne va pas vous reconnaître et vous agresser pour une photo que vous avez publié des mois plus tôt ?

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A force de pratique, on commence à vivre dans une peur constante selon les périodes. Une peur justifiée, bien loin de la paranoïa quand les premières menaces et les premiers messages commencent à tomber. En 2012 déjà, j’avais été blessé par le feu à la poitrine, et cette blessure a mis du temps à cicatriser sur le plan physique et mental. Blessé gratuitement et volontairement par un individu à qui ma tête ne revenait pas et qui ne voulait pas de photographe. Pourtant, aucune poursuite contre lui, je n’ai même jamais déposé plainte ou publié une photo de son visage sur Internet. Lui et moi ne nous connaissions pas, et nous ne nous sommes jamais revus depuis.

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Lors d'un reportage sur la ZAD en 2012.

Lors d’un reportage sur la ZAD en 2012.

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Cette peur on la ressent également à chaque connexion sur le web, à chaque fois que l’on reçoit un appel en masqué sur son portable. Quand on relève ses mails et ses messages privés sur FB, on a toujours cette petite boule au ventre en se demandant, est-ce que cette fois encore c’est un message de menace ? Est-ce que cette fois encore c’est une critique anonyme infondée sur une de mes photos par un mec qui ne me connait pas et raconte n’importe quoi ?

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A chaque notification de commentaire, on se demande si c’est un nouveau débat sur le droit à l’image qui commence, ou si c’est un début de discours haineux entre plusieurs inscrits sur le site qui ont une vision diamétralement opposée de la politique et du gouvernement en place. Pire encore, on se demande si ce n’est pas une critique directe sur notre personne. En effet, les gens ont trop souvent tendance à oublier qu’ils ne sont pas le centre du monde, et qu’il y a plusieurs points de vue à un même événement. En fonction de l’endroit où nous nous trouvons, de là où nous regardons, nous ne voyons pas les mêmes choses. Pourquoi dire à quelqu’un qu’il ment ou qu’il se trompe, si il dit avoir vue une chose d’un autre endroit que le votre. Pourquoi ne pas respecter ce qui est dit ? Après tout, personne n’est omniscient.

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En dehors de ça, il y a aussi le choc post-traumatique. En particulier en début de carrière où à des moments de violence extrême. Je me souviendrais toujours sur la ZAD de Notre-Dame des Landes en 2012, durant les plus intenses des violences, avoir vu des gars fabriqués des lances fusées portatifs pour tirer directement sur les forces de l’ordre, de petites catapultes pour lancer des cocktails molotov, des barrages piégés et j’en passe. Ça en plus de la répression policière, des lacrymogènes, des coups, et des 20km effectués par jour à pied avec le matériel sur le dos, je n’étais pas en forme. Pour vous dire, même un jeu vidéo ou un film un peu violent après n’était plus possible pendant plusieurs semaines, certains flash de moments violents me revenant en mémoire, tout comme les odeurs de grenades qui restaient dans le nez.

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Une personne blessé avec un nez arraché lors d'un tir / Nantes 2014.

Une personne blessé avec un nez arraché lors d’un tir / Nantes 2014.

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Mais finalement, quels sont vraiment les dangers pour les personnes présentes ?

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Il faut bien savoir une chose, c’est qu’un photographe n’est pas là pour vous nuire. Il s’en moque de ça. D’ailleurs, voici ce qui vous observe du début à la fin d’une manifestation auquel vous ne pensez pas forcément et qui vous nuit bien d’avantage :

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  • Caméra de surveillance dans la rue
  • Caméra de surveillance dans les magasins/pallier de porte
  • Flics en civil
  • Barrage de police avec caméra à fort zoom
  • Hélicoptères
  • Manifestants avec un smartphone
  • Habitants locaux depuis les fenêtres avec des smartphones
  • Passants avec des smartphones

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Et tout ceci finira sur Internet. Du moins pour les 3 derniers points. YouTube, Facebook, Instagram, Twitter… A coup de hashtags, des milliers de photos et de vidéos de chaque événements se retrouvent sans aucune restriction ou question concernant le droit à l’image et l’intérêt d’un individu sur la toile. Pourtant, personne ne dira rien à ces individus. Personne ne dira « tu n’aurais pas du mettre ça, je vais te casser la gueule » ou « Tu vas regretter d’avoir mis cette vidéo en ligne ».

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Mais pourquoi ?

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Tout simplement parce que c’est considéré comme du travail d’amateur. Malheureusement, il est plus grave dans l’inconscient collectif de voir de belles images prisent par un professionnel d’un événement sur laquelle on ne voit pas de visage, qu’une vidéo réalisée par monsieur tout le monde où on voit clairement toute l’action du début à la fin avec des individus au visage découvert.

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Jérémie et Evan, par Karl / Nantes - Février 2015

Jérémie et Evan, par Karl / Nantes – Février 2015

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Oui, les photographes ont un pouvoir énorme. Dans la ville où je pratique, sur Nantes, nous ne sommes qu’une toute petite poignée à photographier à chaque fois le « coeur » de l’action pour rapporter des images uniques d’une réalité que les gens préfèrent ignorer. Nous nous dépassons sans cesse et risquons notre matériel, et parfois notre vie dans certaines conditions. Et pour quel résultat ?

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Quelques likes sur Facebook et des messages de menaces.

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Croyez bien, cher lecteur, que si un photographe souhaitait vraiment vous emmerder, nous n’auriez jamais eu le temps de lire cet article. Les flics vous aurait déjà embarqué depuis longtemps.

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Je ne parlerai pas pour les autres photographes mais de mon côté je ne cherche jamais à avoir un visage ou à faire du portrait durant ce genre d’événement. Je ne vole jamais de photo non plus. J’entends par là que je ne photographie qu’avec un 23mm monté sur un X-Pro 2. Autant vous dire que si je prends une photo, le gars en face à le temps de le voir. Je ne suis pas planqué à l’autre bout de la rue derrière une poubelle avec un 300mm. Pourtant je pourrais, personne ne me verrais. Dans la foulée je pourrais aussi créer une page Facebook avec un pseudo, et personne ne saurait jamais qui je suis. Mais quel intérêt ? Faire chier les gens ? Mais je ne suis pas là pour ça !

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Emeute Nantes / Avril 2016

Emeute Nantes / Avril 2016

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Mais alors, si il y autant de choses négatives, pourquoi continuer ?

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L’univers de la photographie est large, vraiment vaste. Du culinaire à la publicité, en passant par la mode, les photos de classes, les boutiques en centre ville, le sport, l’animalier et j’en passe, il y a de quoi faire. Mais le reportage est unique.

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Les raisons qui me poussent à titre personnel à faire ça sont peu nombreuses. En dehors d’une que je garderais uniquement pour moi, il faut savoir que la photographie est synonyme d’Histoire. Peut-être l’avez-vous oublié, mais pendant vos cours d’histoire, d’éducation civique, ou de français, vous avez étudiez des images. Vous avez écrit des rédactions à propos de photos célèbres prises par des Correspondants de Guerre, ou des Journalistes qui ont eux aussi à une époque pris ce genre de photos. Souvenez-vous de Mai 68 par exemple.

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Je considère avoir un devoir de mémoire. Un devoir envers Nantes, envers l’Histoire, envers la France. Vous pourriez me dire, « ce n’est pas des petites émeutes de Nantes qu’on parlera dans 20 ans », mais à cela je vous répondrai : Qu’en savez-vous ? Qui vous dit qu’aujourd’hui, nous ne sommes pas dans une période charnière qui annoncera de gros changements dans l’avenir ?

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La ZAD de Notre-Dame des Landes a mis en avant ce désir de lutte et de combat. Des dizaines d’autres ZAD se sont créées partout à travers le monde suite à la médiatisation de l’événement. Si il y a 10 ans on nous avait dis que Nantes serait la proie de nombreuses émeutes chaque année, et qu’en 2011/2012 il y aurait une véritable guerre sur la ZAD de NDDL, personne ne l’aurait probablement cru. Pourtant c’est arrivé.

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Alors aujourd’hui, 10 ans plus tard, avec l’augmentation de la violence, Internet, et les facilités de transport, de plus en plus de personnes sont présentes à chaque événement, qui se révèlent tous de plus en plus coûteux en dégâts et victimes.

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Et moi au milieu, je suis là pour ça.

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Je suis là pour que lorsque vous aiderez vos enfants à faire leurs devoirs le soir, ils ouvrent leur livre d’Histoire et que vous tombiez sur une photo. Une de mes photos. Et à partir de là vous pourrez dire à votre enfant « J’ai connu ce photographe, j’ai connu Evan Forget. Quand j’étais plus jeune, nous étions presque tous inscrit sur un site Internet qui s’appelait Facebook, et je suivais quotidiennement son travail. Je l’ai même rencontré une fois quand il travaillait, il était avec deux compères photographes dans la rue pendant que cette photo que tu dois étudié a été prise. Oui, j’étais né et j’étais là aussi ce jour là. Nous avons été leur dire merci, à tous les trois, pour les risques qu’ils prennent afin qu’on sache ce qu’il se passe. Tu pourras mettre ça dans ton devoir mon petit, l’information c’est important« .

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Arrestation / Nantes - Avril 2016

Arrestation / Nantes – Avril 2016

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Chacun est libre de voir et d’interpréter notre travail de reportage comme bon lui semble, du moment qu’il respecte l’auteur de celui-ci je suis prêt à tout accepter, ça rejoint la liberté d’expression.

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Mais en face de cette réalité, qu’avons-nous ?

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En dehors de quelques maigres « like » sur les réseaux sociaux, (les gens préférant liker des boobs que des photos de combats, mais comment leur donner tord), nous avons énormément de messages de menaces, de critiques, ou d’insultes.

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Le « droit à l’image » revient d’ailleurs très souvent. Je ne compte plus le nombre de fois où on est venu m’en parler sur ma page facebook. A chaque manifestation, chaque émeute, chaque débordement, il y a toujours quelques individus parfois même non-concernés (j’entends par là dont leur visage n’est pas présent sur mes photos, voir même l’individu tout entier ou alors qui n’étaient pas présent) qui viennent me faire la morale et essayer de m’apprendre à faire mon travail.

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Prenons les trois exemples ci-dessous qui sont des photos prises dans des lieux publics. Bien que la deuxième photo, celle de Doisneau, soit une photo posée avec des personnes qui ont signées un contrat, ça ne change pas le fait qu’une photo similaire peut très bien être réalisée à côté durant une manifestation.

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On est bien d’accord, flouter les visages d’une photo dénature complètement celle-ci. La dernière image, « La jeune fille à la fleur » de Marc Riboud ressemble d’ailleurs plus à un reportage sur le service des grands brulés d’un hôpital qu’à une photo historique et emblématique.

D’ailleurs, qui nous dit que les personnes présentes ne voulaient pas justement être présentes sur l’image par fierté ou pour partager auprès de leurs amis ? Hmm ?

Cela ne veux pas dire que je refuse de flouter un visage. Si une personne vient me voir et me le demande, bien entendu que je vais respecter sa décision. Mais il ne faut pas tomber dans l’excès et vouloir flouter chaque petit morceau de peau, chaque tatouage, chaque visage, pour que personne ne soit reconnu.

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C’est usant, et fatiguant moralement.

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En particulier lorsqu’on sait que là où ces individus crachent sur notre travail parce que des manifestants qui ont choisis de venir à visage découvert peuvent être partiellement visibles sur nos images, ils acclament des photos où on peut identifier parfaitement d’autres individus reconnaissable et même des photos à zooms fait sur le visage des forces de l’ordre sur divers groupes Facebook. Et là, c’est quelque chose de tout à fait « normal » qu’il ne faut surtout pas critiquer sous peine d’essuyer un lynchage verbal et/ou physique.

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Qu’on m’explique. Sincèrement, je veux vous comprendre.

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Comment pouvez-vous nous insulter, nous autres photographes qui avons choisis de risquer beaucoup pour sortir de belles images sur lesquelles il n’est pas possible d’identifier une personne alors qu’en face vous acclamez et publiez des photos d’autres individus via des captures d’écrans ou des photos/vidéos de passants. Je ne comprends pas ce paradoxe. Le droit au respect et à l’anonymat dans ces cas là c’est pour tout le monde ou personne.

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Reportage ZAD / 2012

Reportage ZAD / 2012

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Mes interrogations continuent avec nos sujets. En effet, il revient souvent le fait que nous montrions la violence et non la paix. Mais la paix est tout simplement impossible à photographier par peur de la part de nos sujets. Je m’explique.

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Lors d’un acte de casse, les individus bourrés d’adrénaline et parfois même d’alcool pour certains ne font pas attention et ne voient pas forcément que nous sommes là. Oui on risque gros (un projectile ou une bouteille perdue etc), mais on peut plus ou moins prendre nos photos.

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A l’inverse, lorsque tout est calme, les gens nous voient arriver. Dès qu’ils s’aperçoivent qu’on prends des photos, on vient immédiatement lever les mains devant nous et systématiquement nous dire qu’ils ne veulent pas de photos. Mais… Pour quelle raison ? Pourquoi nous empêcher de prendre des images si ces mêmes personnes nous reprochent ensuite DE NE PAS PUBLIER de photos de moments de joies et de paix ? Je veux dire, je comprends et j’accepte qu’une personne ne veuille pas être pris en photo. Mais dans ces cas là, qu’elle ne nous balance pas de reproches après, c’est totalement contradictoire.

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Nantes / Novembre 2014

Nantes / Novembre 2014

Un clown cherche à poser un coeur en papier sur le bouclier d'un gendarme / Nantes 2012

Un clown cherche à poser un coeur en papier sur le bouclier d’un gendarme / Nantes 2012

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Les insultes, les menaces et les casseurs ne sont pas les seuls dangers.

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Bien que nous soyons régulièrement visés, nous sommes généralement blessés par des dommages collatéraux. L’explosion d’un cocktail molotv, la destruction d’une vitrine, le jet d’une bouteille ou d’une pierre, ou encore l’explosion d’un barrage en feu remplit de bouteilles de déodorant. L’oeil dans le viseur, nous n’avons pas forcément une vue d’ensemble de la scène. D’où l’importance de photographier en binôme ou en petit groupe. Il ne faut pas oublier non plus que nous avons beaucoup de matériel sur nous, et qu’en cas d’agression, il peut être très difficile de se protéger à la fois soit même et à la fois son matériel qui en plus nous gène si nous devons nous battre.

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Toutefois, il y a aussi les forces de l’ordre qui peuvent poser problème. Lors d’une manifestation, et afin d’être parfaitement objectif, je montre toujours le meilleur et le pire des deux côtés. Ça implique donc le pire des casseurs, mais aussi des forces de l’ordre. Je ne fais pas ça pour les accuser, mais pour raconter et conserver une objectivité.

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Mais lorsque vous avez un problème, lorsque dans un même événement vous photographiez ces deux opposés et qu’ensuite vous décidez de porter plainte en cas de menaces ou d’agressions, vers qui allez-vous vous tournez ? Vers les forces de l’ordre ? C’est au risque qu’ils vous enfoncent et n’apprécient pas vos images. Vers les manifestants ? Pour quoi faire, ils s’en moquent bien.

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Au final, vous vous retrouvez seul au milieu d’un océan d’adversité. Vous ne savez plus à qui vous confier, à qui en parler. Vous voulez en parler avec vos amis ou votre famille, mais ils ne peuvent pas comprendre, car ils n’ont jamais vécu ça. Alors ce sentiment de solitude ce creuse un peu plus chaque jour. Les mêmes phrases reviendront sans cesses « ça va aller, t’en fais pas » ou plus sèches « en même temps c’est bien fait pour ta gueule, tu l’as bien cherché » ou pire, s’en foutent totalement.

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Acte de violence gratuit des forces de l'ordre / Nantes - Février 2014

Acte de violence gratuit des forces de l’ordre / Nantes – Février 2014

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Les forces de l’ordre nous traitent d’ailleurs de la même façon que n’importe quel casseur ou manifestant en nous prenant volontairement pour cible, en nous frappant parfois, nous tirant dessus au LBD-40, et même nous arrêtant. Sur une ZAD, vous pouvez aussi vous faire confisquer l’ensemble de votre matériel photo.

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Ajoutons à cela que lors d’une manifestation, nous subissons également les gaz lacrymogènes en grande quantité. Travaillant au 23mm, je suis directement impacté par les nuages de fumée, et parfois c’est extrêmement dur de travailler. Je ne compte plus les fois où à défaut de protection suffisante je me suis retrouvé écroulé sur le sol d’une ruelle de centre-ville à ramper sans voir dans quelle direction je me dirige avec les poumons en feu, sans pouvoir ouvrir les yeux. Je ne compte pas non plus le nombre de fois où j’ai été ramassé par terre et trainé par des manifestants sur la ZAD ou en manif pour être sortis d’un nuage dans lequel j’étais bloqué, et tout ça dans de « simples » émeutes Française.

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Dans certains pays, les forces de police sont bien plus violentes et agressives qu’ici, et je ne parlerais pas non plus des nombreux conflits militaires aux 4 coins du monde. La violence y est encore plus présente, en particulier pour nous autres photographes qui sommes des cibles prioritaires.

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Enfermement, torture, exécution… Tout ça fait partie d’un métier trop souvent oublié quand on est occupé à cracher sur l’individu qui tient la caméra.

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liberte de la presse

L’information est une arme

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Malgré tout cela, il faut garder une chose à l’esprit. Si vous ne devez en garder qu’une dans cet article, ça pourrait être celle-ci. Mettez-vous à la place d’un photographe quand il assiste à un acte de vandalisme, à une agression, à un vol, ou pire. Que faut-il faire ? Prendre une photo pour témoigner ? Intervenir pour défendre ? Rester passif pour ne pas avoir d’ennuis ?

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Si il y a bien une chose que j’ai appris avec le temps, c’est qu’il n’y a aucune foutue réponse à cette question. Quoi que vous fassiez, ça sera à la fois le bon choix et le mauvais. Si vous prenez la décision d’allé aider quelqu’un qui se fait agresser, vous finirez vous même à terre, dans l’incapacité physique de prendre des photos si vous vous faites passer à tabac, d’autant plus si ils détruisent votre matériel. Et votre reportage s’arrêtera là.

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A plusieurs reprises j’ai quand même posé l’appareil pour aider quelqu’un, et j’ai failli le regretter une fois. Un policier un peu « nerveux » qui tirait en permanence au LBD-40 m’a visé la tête alors qu’il n’était qu’à quelques mètres de distance. Lorsque j’ai vu ce canon noir devant moi, je me suis stoppé net, et j’ai compris ce que voulait dire « avoir sa vie défiler devant ses yeux ».

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Vous constatez en une fraction de seconde votre impuissance face à un individu. Votre soumission face à lui et face au monde. Le temps semble passer au ralentis, et chaque seconde dure une heure. Vous avez presque honte quand durant une fraction de temps qui semble durer une éternité vous avez envie qu’il tire pour que tout ça s’arrête. Et une autre fraction de seconde plus tard, le néant. Le vide. Vous ne ressentez plus aucune émotion, plus aucune sensation. Ni le vent sur votre visage, ni le battement de votre coeur qui résonne dans votre corps. Plus rien n’existe. Vous n’êtes qu’un spectateur de l’instant présent. Jusqu’à ce que d’un coup, une voix résonne au loin dans votre tête et vous dise « Non, pas maintenant ». Là, vous reprenez le contrôle de vos jambes et de votre esprit.

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Mais non. Malgré tout ça je m’en suis sortis, et je m’en suis toujours sortis. Pourquoi moi ? Je me suis également posé la question. Peu de temps avant, un jeune avait été touché à la tête et avait perdu son oeil ainsi que de gros dommages collatéraux au visage. Je pensais à lui. Pourquoi n’a t’il pas eu ma chance ?

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A force, vous emmagasinez une rage envers les individus. Cette rage monte petit à petit, et il faut qu’elle sorte. Vous ressentez de la colère, et le travail sur soit pour la contenir vous dévore petit à petit. Vous n’avez parfois envie que d’une seule chose, c’est de ranger l’appareil photo, le ranger vraiment au fond d’un sac, le confier à quelqu’un, et foncer dans le tas pour calmer ces personnes qui font du mal à d’autre, sans se soucier des risques. La colère finit par vous aveugler, vous prenez des risques de plus en plus inconsidérés, et c’est votre entourage qui un jour vous le fait remarquer. Et le retour à la réalité s’annonce compliqué.

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Toutes ces choses rendent également la vie personnelle compliquée. Comment entretenir une vie de couple « normale » quand son travail consiste à frôler le danger en permanence ? Mettez-vous à la place du conjoint qui reste à la maison. Que se passera-t’il le soir où vous ne rentrerez pas à l’heure prévue ? Tout, absolument toutes les pires idées passeront à travers la tête de celui qui attend. Est-il blessé, va t’il bien, peut-être qu’il n’a pas appelé parce qu’il n’a plus de batterie, peut-être qu’il est à l’hôpital..

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C’est un choix très complexe à faire lorsque nous avons quelqu’un qui nous attend le soir. C’est peut-être pour cette raison au fond, après l’avoir lourdement accepté de manière inconsciente, que bien que je sois plus heureux avec quelqu’un, je suis satisfait lorsque je suis sur le terrain de savoir que personne ne va s’inquiéter de l’heure à laquelle je vais rentrer.

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Evan Forget - Portrait

Evan Forget – Portrait

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Cette situation devient au fil des années passablement complexe et usante.

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Je ne sais plus aujourd’hui si je dois continuer mon travail de reportage au vue des risques encourus et des conditions de plus en plus compliquées compte tenu de la situation actuelle. Mais si je continue, qu’adviendra-t’il ?

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